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jeudi 11 février 2010

Ecologie et non-violence

Nous proposons dans les pages suivantes un compte-rendu de l’intervention de Jacques
Muller pendant un Forum sur l'écologie et la non-violence

L’écologie est désormais en avant de l’actualité. Elle est entrée dans le champ politique. Tout
le monde en parle : prise de conscience indiscutable par nécessité, ou récupération
économique et politique en tant que sujet porteur ?
En tant que mouvement politique, promoteur d’une non-violence politique : le débat est
nécessaire ! Les enjeux sociétaux sont considérables : là aussi, il est nécessaire d’ouvrir la
réflexion pour croiser les deux concepts.

Enjeux de l’écologie et de l’écologie politique

Pour l’opinion publique, les journalistes (mais aussi pour les adversaires de l’écologie
politique, l’écologie est assimilée à la défense (à tout prix ?) et la protection de la nature.
C’est une définition totalement restrictive. Une clarification est nécessaire.
Approche scientifique ou naturelle (Alain Lipietz)
L’écologie est la science du rapport triangulaire entre les individus d’une espèce, l’activité
organisée de cette espèce, l’environnement de cette activité. Exemples : équilibre lapinsrenards
avec les notions de : cycle prédateurs/proies, capacité de charge d’un territoire,
équation de Lotka-Voltera, hiérarchie et niches écologiques, crises écologiques et évolutions,


l’être humain « superprédateur ».

Il existe des espèces sociales, avec une division du travail, de l’activité qui transforme
l’environnement pour satisfaire les besoins des individus et de l’espèce (exemples : fourmis,castors et… êtres humains)

L’écologie politique (Alain Lipietz)

L’être humain est une espèce politique, non programmée génétiquement, qui s’organise en
« polis » (cité) après délibération : « bien/mal/souhaitable » etc.
Les moments de crises sont surmontées en changeant l’organisation sociale : l’évolution
socio-économique est la forme principale d’évolution de l’espèce humaine.
L’écologie politique, c’est l’écologie de l’Etre Humain, notre espèce, une espèce unique, car
sociale et politique. Elle s’intéresse au rapport triangulé entre : Les êtres humains et les
activités humaines organisées : sociologie, anthropologie, psycho-sociologie, psychanalyse,
économie « pure et dure » qui mesure uniquement les quantités (argent, rendement). Nota :
nomos = règle, mesure ; eco = domaine.
L’impact des activités humaines sur l’environnement : tant d’exemples bien connus !L’impact de l’environnement sur les individus : agronomie (capacités à produire),
épidémiologie, hygiénisme, radiologie, etc.

Remarques importantes

Différencier ECOlogie et ECOnomie. En effet, si nomos renvoie à règle, logos renvoie à sens,
raison d’agir : est-ce prudent, utile, juste ? D’où la nécessité du débat démocratique…
Le danger est de limiter l’écologie à l’étude de l’impact des activités humaines sur l’écologie
comme c’est souvent le cas par les médias, les détracteurs et l’opinion publique.
L’écologie politique relève d’une démarche encyclopédiste : les 3 pôles sont indissociables.
L’écologie politique pose ces deux questions parfaitement liées : comment notre organisation
sociale nous conduit-elle à modifier l’environnement ? et les effets des ces modifications sur
les individus, sont-ils favorables ou défavorables ?
L’écologie de l’Etre Humain ne peut être que sociale et politique, avec une éthique propre :
responsabilité : développement soutenable (« éco-développement »)
Solidarité maintenant, avec priorité pour la satisfaction des besoins des plus pauvres, avec
affirmation de l’égalité fondamentale des êtres humains
Solidarité avec les générations futures : « intérêt bien compris de l’humanité » ?


Ecologie « sociale » et écologie « profonde »

L’écologie sociale est suspectée d’anthropocentrisme, restreignant le débat (trop ?) politique à
 la question des « rapports sociaux », sans prendre en considération la terre qui nous précède.
L’écologie profonde est suspectée d’idôlatrie par rapport à une nature originelle sacralisée.
Des dérapages existent : nature mise sous cloche car l’être humain en est l’ennemi.
Ne pas opposer les deux ! Leur point commun est une forme de radicalité… somme toute
nécessaire ! Il existe une hiérarchie des normes : l’Etre Humain n’est pas une espèce parmi
d’autres. Mais le respect, l’amour, l’admiration de la nature et le refus de la nature entant
qu’objet d’exploitation sont des fondements respectables et nécessaires : approche sensible,
tripale et pas seulement intellectuelle.

Les liens entre l’éthique de la non-violence et l’écologie

Il existe un parallèle indiscutable en termes de ruptures sur le plan culturel :
Ruptures de la non-violence : refus de la violence, désacralisation de la violence.
Ruptures de l’écologie politique : refus du productivisme, de la religion de la croissance
économique (décroissance ?), d’une nature chosifiée, à « exploiter », du dogme du pouvoir
d’achat, refus du techno-scientisme, de la domination de l’être humain sur les êtres vivants
(Gandhi), et vénération de la nature (Thoreau), lieu de « la vraie vie »
Un même refus de la domination d’un être humain sur un autre, un même refus de la
domination de l’être humain sur la nature ? Un respect de l’être humain et de la nature ?
On observe des parallèles évidents en termes de valeurs et propositions de pratiques
politiques, mais avec un apport spécifique, essentiel, décisif, ( ?) de la non-violence !
Du côté de la non violence : non pas la révolution, mais la responsabilité et l’autonomie, la
solidarité et la démocratie, la recherche du compromis, (cf. chez Gandhi « la beauté du
 compromis »), les accords « gagnant-gagnant », l’exigence, incontournable, de cohérence
entre la fin et les moyens (principe fondateur valable au plan individuel comme au plan
collectif), le programme constructif alternatif

Du côté de l’écologie politique :

non pas la révolution, mais la responsabilité individuelle et
collective : « l’éco-citoyenneté », la solidarité, y compris avec les générations futures et les
plus pauvres », le « radical-réformisme » : savoir construire des avancées concrètes, mais
forcément limitées, compte-tenu du décalage entre les visées sociétales à long terme et la dure
réalité !

Pour ne pas conclure

L’écologie politique reste une « terre de mission » pour les promoteurs de la non-violence, et
ses propositions aussi originales qu’essentielles… et méconnues : programme constructif
alternatif (la dénonciation ne suffit pas !), exigence radicale de cohérence entre la fin et les
moyens, recherche d’accords gagnant-gagnant.

La non-violence est clairement inscrite dans les textes fondateurs de l’écologie politique.

Et certaines luttes historiques, ou plus récentes, ont mis en oeuvre des moyens d’action
s’inscrivant typiquement dans la tradition non-violente (jeûnes, désobéissance civile, etc.)
Mais l’exigence éthique de la non-violence en termes de pratiques politiques individuelles et
collectives, dans le jeu politique au quotidien, me semble toujours globalement absente : pour
la plupart, l’éthique de la non-violence semble -à tort !- encore et toujours rimer avec
Un moralisme ringard, suspect, car supposé entaché d’une forme de spiritualisme
Une naïveté ou un angélisme qui ne peuvent qu’être hors sujet lorsqu’on fait de la politique,
dans cet univers dur, violent, dans lequel chaque coup porté ou reçu compte, et où le
réalisme » doit impérativement primer sur toute autre considération…
La (re)découverte de l’éthique politique de la non-violence, et surtout sa mise en pratique, me
semble pourtant un enjeu essentiel en terme de « politique autrement »
En effet cette arlésienne du fameux « la politique autrement » n’est pas un luxe : il est devenu une nécessité,
une sorte d’ « ardente obligation », et pas seulement pour les promoteurs de l’écologie
politique, mais pour le monde politique pris dans sa globalité.
Car il en va :
De la désillusion croissante de nos concitoyens, et plus particulièrement de la jeunesse, par
rapport aux acteurs de la vie politique (« tous pourris »),
De la désertion par rapport au débat politique et donc du fonctionnement de la démocratie : la
voie est grande ouverte aux démagogues de tout poil (à droite comme à gauche),
D’une forme de fatalisme, résigné ou sarcastique, voire de désespérance par rapport à notre
avenir pourtant commun : « sauve qui peut et chacun pour soi : profitons-en tant que c’est
encore possible, après moi le déluge ! »
C’est pourquoi les tenants de l’écologie politique ont une responsabilité toute particulière :
(re)découvrir la non-violence à laquelle ils font référence, la (re)mettre en action, dans les
pratiques politiques au quotidien.
Et les « non-violents » ont un rôle tout particulier à jouer :
Enjeu de partenariat en terme de formation, de compagnonnage dans les luttes, évidemment
pas pour donner des leçons, car nous savons tous à l’expérience que la non-violence n’est pas
un état de fait, acquis, mais un chemin à parcourir, ensemble.

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