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jeudi 4 février 2010

Interview Jacques-Alain Miller : la burqa

* (source lePoint.fr)

« Porter la burqa, c'est tuer symboliquement l'homme, c'est incarner sa castration »

Propos recueillis par Christophe Labbé et Olivia Recasens


Le Point : Que se passe-t-il dans la tête de ces Françaises converties qui ne sont pas nées de parents musulmans ni ne descendent d'immigrés récents, et qui adoptent le voile intégral ?
Jacques-Alain Miller : Ces femmes ne s'allongent pas sur les divans. Si vous voilez votre corps dans la rue, ce n'est pas pour aller chez des inconnus dévoiler vos pensées. En revanche, chez leurs soeurs dévoilées qui sont, elles, en analyse, la burqa ne suscite ni compréhension ni indignation, mais « horreur ». C'est le mot qui revient.
Pourquoi l'horreur ?
Vivre en société, c'est être vu. Le monde visible est toujours un monde potentiellement voyeur. Se retrancher de cette dimension va bien au-delà de se protéger du désir de l'homme : c'est le tuer symboliquement, c'est incarner sa castration. Voilà ce qui est ressenti comme monstrueux.
A vos yeux, il n'en est rien ?
Les religieuses cloîtrées se soustraient elles aussi au lien social pour se vouer à capter le désir de Dieu. La différence, c'est qu'elles ne se montrent pas et qu'elles sont placées sous le contrôle de l'autorité ecclésiale. En revanche, se promener en burqa dans la cité, c'est parader en tant que cachée, c'est s'exhiber en costume de méduse. C'est aussi diviniser la fonction du mari, en faire un Dieu jaloux.
Qu'est-ce qui est insupportable dans cette attitude ?
D'abord, c'est une forme d'idolâtrie. Ensuite, elle coupe la société de la famille, qui, dans notre tradition, en est la cellule fondamentale. Enfin, voir sans être vu, c'est être pur regard : ça paralyse toute interaction, ça rend impossible l'intersubjectivité. La burqa n'est pas citoyenne. Si elle fait trembler la République française, c'est qu'elle ridiculise ses fondements imaginaires : liberté, égalité, fraternité.
De quoi la burqa est-elle le symptôme ?
C'est un signifiant très pur, susceptible de significations multiples et contradictoires. Chacun l'interprète à son gré, selon son système de valeurs : soumission, pudeur, offense aux droits de la femme, droit imprescriptible à la différence, croyance, autoségrégation, agression, etc. C'est un piège à fantasmes.
Quel sera l'avenir de la burqa en France ?
Laissée à elle-même, elle aura le destin des marques distinctives scandaleuses et extrêmes dans les économies de marché : des femmes témoigneront de leur bonheur à porter la burqa, on nous l'expliquera par l'imagerie cérébrale, John Galliano s'en inspirera pour sa prochaine collection, il y aura un dandysme de la burqa et, à terme, elle finira par se banaliser. Il existe déjà un prototype de Barbie en burqa.
Et si on l'interdit ?
Même décoré du nom de loi, ce ne sera jamais qu'un règlement de police. Notre République laïque a décidément bien de la peine avec des modes de jouir qui ne relèvent pas de la tradition judéo-chrétienne. En vérité, sous toutes les latitudes, la jouissance féminine, on se sait pas où la fourrer. Explicitement ou non, on la met toujours sous burqa. Comme disait Alphonse Allais : « La première fois que j'ai vu une femme nue, j'ai cru que c'était une erreur. »
* Philosophe et psychanalyste.
Dans  les archives de ce blog on pourra se reporter à l'audition de la Commission parlementaire   du philosophe Henri Pena-RUIZ : " A propos du voile intégral" : " Le droit à la différence est-il la différence des droits?" (PP)



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