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vendredi 25 décembre 2009

Non-violence en Iran



El-salaam aleïkum,
Mes chers amis,
C’est avec beaucoup d’émotion et avec beaucoup d’humilité que je prends la parole devant vous.
Permettez-moi, alors que pour la première fois je me trouve sur votre terre, de rendre un hommage chaleureux à votre peuple. Il est unanimement reconnu que l’Irak est le berceau de la civilisation. Ce sont vos ancêtres qui ont légué à l’humanité tout entière un patrimoine culturel dont se sont inspirées plus tard les autres civilisations aux quatre coins du monde. C’est en Mésopotamie, il y a des milliers d’années, que furent construites les premières villes. C’est sur les rives du Tigre et de l’Euphrate que les hommes ont inventé l’écriture. C’est ainsi que votre civilisation a joué un rôle décisif dans l’histoire de l’humanité.
Malheureusement, cela fait maintenant plusieurs années que lorsque qu’on parle de l’Irak ce n’est que pour parler de la guerre d’Irak. Vous le savez, les images de l’Irak qui sont proposées aux téléspectateurs du monde entier ne sont que des images de fer, de feu, de sang et de mort. Derrière ces images, il y a les souffrances, les angoisses, les malheurs qui vous frappent dans vos corps et dans vos cœurs. Ce qui est admirable c’est que ces souffrances, ses angoisses et ces malheurs n’ont pas éteint en vous l’espérance de construire un Irak libéré de toute oppression.
Lorsque j’ai dit à mes amis français que j’étais invité en Irak pour participer à un Forum sur la non-violence, ils m’exprimaient leur plus grand étonnement. C’est à peine s’ils voulaient me croire ! Ils n’imaginaient pas que des femmes et des hommes d’Irak avaient le courage et l’audace de réfléchir sur la non-violence. Je tentais alors de leur expliquer qu’il y avait en effet au sein de la société civile irakienne des femmes et des hommes qui étaient déterminés à s’organiser pour faire face aux défis de la situation de leur peuple en mettant en œuvre les principes et les méthodes de la non-violence.
Vous le savez bien, jamais, nulle part, la violence n’est capable d’apporter une solution humaine aux inévitables conflits qui divisent et opposent les êtres humains, les communautés, les peuples et les nations.
Jamais, nulle part, la violence n’est la solution. Toujours, partout, la violence est le problème.
Jamais, nulle part, la violence ne dénoue le nœud du conflit. Toujours, partout, elle ne fait que le resserrer.
Jamais, nulle part, la violence n’apporte la justice. Toujours, partout, la violence redouble l’injustice.
Jamais, nulle part, le meurtre n’établit la paix. Toujours, partout, le meurtre entretient la vengeance. Indéfiniment.
Jamais, nulle part, la violence n’apporte la victoire. Toujours, partout, la violence est une défaite, un drame, un malheur, une tragédie.
Chacun prétend défendre sa cause. Mais tuer un homme, ce n’est pas défendre une cause c’est tuer un homme. Et pervertir toute cause.
Jamais, nulle part, la violence ne tient sa promesse d’offrir des lendemains qui chantent. Toujours, partout, la violence apporte des aujourd’hui qui pleurent.
Dès lors, le défi qui est lancé aux femmes et aux hommes de bonne volonté en ce début du vingt-et-unième siècle est d’avoir l’intelligence d’inventer une solution au problème de la violence. C’est précisément pour rechercher cette solution en faisant valoir les possibilités offertes par la stratégie de l’action non-violente que vous avez décidé d’organiser ce Forum.
Dès lors, le défi est de déconstruire les idéologies de la violence nécessaire légitime et honorable qui arment les sentiments, les intelligences et les bras. Les idéologies du meurtre. Les idéologies de la mort.
Dès lors, le défi est de construire une philosophie de la non-violence. Une philosophie de la vie. Une philosophie de l’espérance. Une philosophie, c’est-à-dire une sagesse pratique qui invite à l’action. Le moment est venu de re-penser la violence.
Le moment est venu de penser la non-violence.
Il existe en réalité une histoire de la résistance non-violente qui a ses lettres et ses actes de noblesse. Une histoire écrite par des femmes et des hommes qui ont refusé de se résigner à l’injustice qui outrageait leur dignité et bafouait leur liberté, et qui ont su imaginer d’autres moyens de résistance que ceux de la violence meurtrière. Á maintes reprises, leurs luttes non-violentes ont fait montre d’une réelle efficacité. De leurs mains nues, ils sont parvenus à désarmer leurs ennemis. Malheureusement, leur histoire est méconnue, ignorée, occultée. Á travers le prisme déformant de l’idéologie de la violence, notre mémoire collective n’a retenu que l’histoire des révolutions armées et des guerres meurtrières. Il importe donc de nous ressouvenir de cette histoire des luttes non-violentes et de se les approprier.
Dès lors que l’on considère que toute violence, quelle que puisse être la justesse de la cause pour laquelle elle est mise en œuvre, blesse et meurtrit l’humanité aussi bien de celui qui la subit que de celui qui l’exerce, comment justifier de recourir à la violence dans la recherche de la vérité ? La violence est bien réelle, actuelle, concrète, objective en de multiples situations, elle peut parfois apparaître nécessaire, mais elle n’est jamais vraie, car elle fausse toujours la relation de l’homme avec l’autre homme, car elle est toujours porteuse de mort.
L’histoire est là pour attester - et l’expérience le confirme tous les jours - que "la vérité" devient un vecteur de violence dès lors qu’elle n’est pas ancrée dans l’exigence de non-violence, dans le « principe de non-violence ». Si la vérité n’implique pas par elle-même le refus de justifier la violence, alors il viendra toujours un moment où la violence apparaîtra naturellement comme un moyen légitime pour défendre la vérité. Seule, la reconnaissance de l’exigence de non-violence permet de récuser une fois pour toutes l’illusion, véhiculée par toutes les idéologies, qu’il est nécessaire et juste de recourir à la violence pour défendre la vérité. Recourir à la violence pour défendre la vérité, c’est se situer en un lieu où la vérité ne peut pas être.
Il convient ici de souligner un principe essentiel de la stratégie de l’action non-violente : pour atteindre une fin juste, il faut mettre en œuvre des moyens justes. Contrairement à ce qu’affirme l’idéologie de la violence, une fin juste ne justifie pas des moyens injustes. En réalité, c’est exactement le contraire qui se passe : des moyens injustes rendent injuste une cause juste. Qui veut la paix, veut la justice doit vouloir des moyens justes. Qui veut la paix des moyens pacifiques.
La vérité de la non-violence n’est pas constituée par un savoir dogmatique qui devient un facteur de division et d’opposition entre les hommes, mais elle se manifeste dans une sagesse pratique qui oriente l’intelligence et la volonté pour imaginer, à travers les conflits eux-mêmes, les chemins de la réconciliation et de la paix.
L’humanité ne parviendra certainement pas à relever les défis auxquels elle se trouve confrontée aujourd’hui si elle ne rejoint pas les intuitions de Gandhi. Il nous invite à revisiter les héritages de nos traditions historiques - aussi bien philosophiques, religieuses que politiques -, et à prendre conscience de toutes les complicités que nos cultures ont entretenues avec l’empire de la violence. Nous pourrons alors mesurer l’urgence qu’il y a à développer une véritable culture de la non-violence. Ce qui menace la paix, partout dans le monde et dans chacune de nos sociétés, ce sont les idéologies fondées sur la discrimination et l’exclusion - qu’il s’agisse du nationalisme, du racisme, de la xénophobie, de l’intégrisme religieux ou de toute doctrine économique fondée sur la seule recherche du profit - et qui toutes ont partie liée avec l’idéologie de la violence. Ce qui menace la paix, en définitive, ce ne sont pas les conflits, mais l’idéologie qui fait croire aux hommes que la violence est le seul moyen de résoudre les conflits. C’est cette idéologie qui enseigne le mépris de l’autre, la haine de l’ennemi ; c’est elle qui arme les sentiments, les désirs, les intelligences et les bras. C’est elle qui instrumentalise l’homme en faisant de lui l’instrument du meurtre. C’est donc elle qu’il faut combattre.
Face à la tragédie de la violence, face à son inhumanité, face à son absurdité, face à son inefficacité, le moment n’est-il pas venu, par réalisme sinon par sagesse, de prendre conscience de l’évidence de la non-violence ?
Le « non » de la non-violence n’est pas un non de négation : il ne s’agit pas de nier la réalité de la violence. Le « non » de la non-violence n’est pas un non de résignation : il ne s’agit pas de se résigner à l’injustice de la violence. Le « non » de la non-violence est un non de résistance : il s’agit de résister à la violence.
Au cœur de chacune de nos cultures, se trouve l’exigence de non-violence qui confère à tout être humain dignité, grandeur et noblesse. Chacune de nos cultures est invitée à découvrir cette exigence qui s’est trouvée recouverte par les scories de l’idéologie de la violence. Chacune de nos cultures est invitée à construire une philosophie de la non-violence et de dialoguer avec toutes les autres cultures pour exprimer ensemble l’universel humain. Chacune de nos cultures donnera sa propre couleur à sa philosophie qui viendra s’inscrire dans l’arc-en-ciel de la non-violence annonciateur, au cœur des ténèbres qui recouvrent les mondes, d’une nouvelle aurore.
La violence ne peut que détruire des ponts et construire des murs. La non-violence nous invite à déconstruire les murs et à construire des ponts. Malheureusement, il est plus difficile de construire des ponts que des murs. L’architecture des murs ne demande aucune imagination : il suffit de suivre la loi de la pesanteur. L’architecture des ponts demande infiniment plus d’intelligence : il faut vaincre la force de la pesanteur. Les murs les plus visibles qui séparent les hommes sont les murs de béton qui martyrisent la géographie et divisent la terre qu’il faudrait partager.
Mais il existe aussi des murs dans le cœur et dans l’esprit des hommes. Ce sont les murs des idéologies, des préjugés, des mépris, des stigmatisations, des rancœurs, des ressentiments, des peurs. La conséquence la plus dramatique de la violence, c’est qu’elle construit des murs de haine. Seuls ceux qui, dans quelque camp qu’ils se trouvent, auront la lucidité, l’intelligence et le courage de déconstruire ces murs et de construire des ponts qui permettent aux hommes, aux communautés et aux peuples de se rencontrer, de se reconnaître, de se parler et de commencer à se comprendre, seuls ceux-là sauvegardent l’espérance qui donne sens à l’à-venir de l’humanité.
Aux jours de lassitude, la violence peut apparaître comme une fatalité. En réalité, c’est une fatalité tout entière construite de mains d’homme. Cela signifie que les hommes ensemble, avec leurs mains désarmées, peuvent la déconstruire.
En organisant ce premier Forum irakien pour la non-violence, vous avez invité tous ceux qui croient à la non-violence comme un moyen alternatif pour changer la société irakienne, Mes amis, je ne doute pas que les travaux auxquels vous allez vous consacrer tout au long des journées vous permettront de progresser sur le chemin de la paix, de la justice et de la démocratie. Permettez-moi de vous confier que je suis particulièrement heureux d’être à vos côtés pour participer à cette aventure exaltante.
Mes amis, nos sociétés sont malades de la violence, le monde est malade de la violence, l’humanité est malade de la violence. Mais la violence n’est pas une fatalité. Si nous le voulons, la non-violence peut guérir l’humanité de la maladie de la violence. Nous pourrons alors donner en héritage à nos enfants l’espérance de la non-violence afin qu’ils puissent vivre enfin tous ensemble sur une terre fraternelle. Sur une terre fraternelle, enfin !
Je vous remercie de votre attention.
*Membre fondateur et porte-parole du Man (Mouvement pour une Alternative Non-violente), Jean Marie Muller est directeur d’études au sein de l’IRNC. Philosophe et écrivain, il est l’auteur de nombreux ouvrages de référence sur la non-violence qui incluent : Le courage de la non-violence, >Editions du relié et le Dictionnaire de la non-violence, Le relié poche.

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