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samedi 12 décembre 2009

Violence - non-violence



Colloque de l' Association de la Cause Freudienne CAPA : " Pourquoi la Guerre ?" A partir de la correspondance Freud - Einstein.
Historial de la Grande Guerre - Péronne (80) 2OO1
LIEN : CORRESPONDANCE FREUD-EINSTEIN : " Pourquoi la guerre ?"

Intervention : Patrick POUYAUD :
VIOLENCE /NON- VIOLENCE : L’ARTICULATION SIGNIFIANTE

Introduire le concept de non-violence dans le champ de la psychanalyse c’est déjà poser deux types d’objection : il apparait comme paradoxal de définir un concept par ce qu’il n’est pas : « non » violence, qui donnerait à penser qu’un simple refus de la violence suffirait à clore le débat autour de l’idée même de violence.
Dire «non » à la violence comme dire «non » à la guerre et se proclamer non-violent, suffirait au sujet de la cité d’opposer par le simple pouvoir d’une parole de refus de se dégager du conflit et de la violence. Au nom d’un idéal de pureté, en répugnant au recours des armes, en condamnant les armées et les guerres, il apparaîtrait alors comme celui qui face au conflit et à l’adversité demanderait qu’on l’épargne.
La seconde objection tient à la nature même de l’articulation signifiante «non-violence ». L’apport freudien nous enseigne qu’à vouloir poser un contraire, un envers, l’inconscient ne connaissant pas le négatif, dire non à la violence c’est déjà en miroir souligner le statut de la violence.
Dans le champ éthique et politique, il y a là une limite lexicale ou signifiante au mot «non-violent ». En effet le risque existe «d’induire une approche centrée sur les idées : de fonder sur la présence ou l’absence d’une notion pour définir l’objet à étudier, c’est être conduit à privilégier des philosophies, des croyances, des doctrines et à ne s’intéresser que secondairement aux actions mises en œuvres ».
Le «non-violent » dés lors serait sujet du déni et de la dénégation donc suspect quant à ses véritables intentions au regard des actes de violence. Non sans un certain angélisme, l’apôtre de la non-violence se réclamant d’une théologie de la guerre sainte et tout en posant le commandement : « Tu ne tueras point » le dément aussitôt dans l’histoire : « Tu tueras ». Une sacralisation de la guerre juste, fut-ce t-elle révolutionnaire avec ses promesses de Grand Soir, c’est exhorter comme le rappelle Lacan à Louvain «à ce qu’on y aille tous » (….) « Frapper la voute du ciel avec nos poings » pour en définitive au petit matin poser les bases d’un Grand Tout, d’une société totalitaire.
Violence et agressivité
La violence n’est qu’une expression de l’agressivité mais non l’agressivité elle-même. L’agressivité est une puissance de combattivité et d’affirmation de soi.
Sans agressivité nous serions constamment en fuite devant les menaces que les autres font peser sur nous.
Le verbe «agresser » vient du latin «aggredi » dont l’étymologie «Ad-gradi » signifie «marcher vers », «s’avancer vers ». Ce n’est que dans un sens dérivé qu’agresser signifie marcher contre. Cela vient du fait que dans la guerre marcher vers l’ennemi c’est marcher contre lui, c’est à dire l’attaquer.
Ainsi faire preuve d’agressivité c’est accepter le surgissement de l’autre, en accepter le conflit sans pour autant se soumettre ni s’aliéner à sa loi et ainsi céder à la violence.
Agressivité – Force et violence : un malentendu : l’éclairage lacanien
Dans son rapport théorique présenté au XIième Congrès des Psychanalystes de langue française – Bruxelles 1948 – intitulé « l’Agressivité en psychanalyse », Jacques Lacan propose 5 thèses relatives au concept même d’agressivité :
1. L’agressivité se manifeste dans une expérience qui est subjective par sa constitution même
2. L’agressivité, dans l’expérience, nous est donnée comme intention d’agression et comme image de dislocation corporelle, et c’est sous de tels modes qu’elle se démontre efficiente
3. Les ressorts d’agressivité décident des raisons qui motivent les techniques de l’analyse
4. L’agressivité est la tendance corrélative d’un mode d’identification que nous appelons narcissique et qui détermine la structure personnelle du moi de l’homme et du registre d’entités caractéristiques de son monde.
5. Une telle notion de l’agressivité comme l’une des données intentionnelles du moi humain, et spécialement relative à la catégorie de l’espace, fait concevoir son rôle dans la névrose moderne et le malaise de la civilisation.
A le suivre dans le déploiement de sa démonstration, Lacan décline l’agressivité selon trois modalités : l’agressivité prise comme « intention » et celle référée à l’acte et à l’action complétée par l’idée de contrainte. Il n’y apparait pas de collusion de sens, de confusion entre agressivité et violence. Dans «l’expérience analytique » nous dit-il «les réactions émotionnelles de colère,(…) les violences proprement dites (sont) aussi rares et transformées en une convention de dialogue ».
C’est dans le symbolique et par le langage, dans une «convention de dialogue » que s’exprimerait l’agressivité dans la cure analytique. Cette agressivité en passe aussi par le corps et plus précisément par l’image du corps : « l’imago du corps morcelé » fait de structure qui mettent en scène «les images de castration, d’éviration, de mutilation, de démembrement, de dislocation, d’éventrement, d’éclatement du corps ». C’est dans cette position imaginaire d’un corps agressé que Lacan en vient à poser le concept d’agression résultante violente de l’agressivité. Ce sont là nous dit-il «les toutes données premières d’une gestalt propre à l’agression chez l’homme et liée au caractère symbolique, non moins qu’au raffinement cruel des armes qu’il fabrique ».
L’agression et la violence ne sont pas ici l’agressivité elle-même mais une combinatoire qui, à en passer par le symbolique, dans le langage et par le corps dans l’imaginaire, conduirait à l’agression et à la violence des hommes.
L’autre violent
Dans bien des situations nous vivons d’abord notre rencontre avec l’autre comme une adversité, voire comme un affrontement. L’autre par sa propre existence surgit dans notre espace comme une menace pour notre propre existence. L’autre est alors pensé ou ressenti comme celui dont les désirs viennent s’opposer à nos propres désirs, dont les ambitions viennent se dresser contre nos propres ambitions, dont les projets viennent contrarier nos propres projets, dont la liberté vient menacer notre propre liberté, dont les droits viennent empiéter sur nos propres droits. Si bien que ma relation à l’autre n’est pas spontanément et forcément celle de l’amour mais celle de l’adversité et du conflit. Le rapport au «réel de l’autre » c’est souvent aussi l’occasion d’un rapport aux différentes modalités d’un «réel » de la violence.
Les tenants d’une psychologie expérimentale fondent en partie la violence sur l’imitation et la rivalité.
Ainsi, contrairement à ceux qui voient dans l’imitation un processus d’harmonie sociale, René GIRARD montre qu’elle est essentiellement un processus d’opposition, d’adversité et de conflit. Ce qui est en jeu dans le comportement mimétique des hommes, c’est l’appropriation d’un objet qui, parce qu’il est convoité en même temps par plusieurs membres d’un groupe devient cause de rivalité. Selon la philosophe Simone Weil la violence «c’est ce qui fait de quiconque lui est soumis une chose ». Faire violence c’est toujours faire taire et priver l’homme de sa parole, c’est déjà le priver de sa vie. Chez Freud, les traductions françaises d’agression et d’agressivité étant prises dans une acception élargie et indistincte car le mot allemand Agression condense les deux sens d’agression et d’agressivité, il est question «d’alliage pulsionnel ». « J’adopterais donc le point de vue – nous dit Freud dans « Malaise… » – selon lequel le penchant à l’agression est une prédisposition pulsionnelle originelle et autonome de l’homme. Cette pulsion d’agression est le rejeton et le représentant principal de la pulsion de mort que nous avons trouvé à côte de l’Eros (…)Ce développement ne peut que nous montrer ce combat entre Eros et mort, pulsion de vie et pulsion de destruction tel qu’il se déroule au niveau de l’espèce humaine ».
Quatre ans plus tard dans sa réponse à Einstein, Freud assimilant le Droit à la violence comme s’étant développé l’un à partir de l’autre, porte le conflit d’intérêt de la communauté humaine comme «fondamentalement tranché par la violence » : « Dans une petite horde humaine, c’est la supériorité musculaire qui décidait qui devait s’approprier quelque chose ou qui devait voir réaliser sa volonté ».
Par la reprise du fameux «l’union fait la force » Freud affirme que «soutenue par l’intelligence » la violence est brisée par le Droit, lequel s’érige de nouveau avec la violence contre les opposants à ce Droit.
C’est ce Droit, cet «ordre Nouveau » dans une Allemagne et une Autriche nazie qui verront les «prophéties » freudiennes d’une collusion politique entre Droit et Violence s’accomplir quelques années plus tard.
Aujourd’hui dans notre contexte socio-politique réputé «état de droit », le but premier de l’action politique ne serait-il pas de mettre la violence hors la loi et non pas la violence dans la loi ? La nécessité affichée dans le lien social de recourir à la violence ne doit - elle pas être identifiée comme le symptôme qui révèlerait une maladie du corps social et non pas comme le remède à cette maladie ? PP

A suivre prochainement un article que j' ai publié dans la revue " Alternatives non-violentes" ( 1974) : "Marginalisme ou révolution culturelle ?" , revue du Mouvement pour une Alternative Non-violente (MAN) dont voici le LIEN conduisant au site : MAN

Je tiens à remercier tout particulièrement Jean-Marie Muller co- fondateur du MAN auprès duquel, ainsi que nos ami(e) militant(e)s, j'ai été lecteur et à l'écoute de ses convictions. Elles m'ont aidé pour cette intervention. Je lui transmets toute mon amitié et vous incite vivement à le lire.....Ainsi que Freud et Lacan.

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