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lundi 14 décembre 2009

Pitié pour les hommes

Jean-Marie MULLER - Philosophe  écrivain 







On les appelle simplement des « hommes ». Il y a bien quelques femmes parmi eux, mais elles-mêmes font partie des « hommes ». On les compte généralement par centaines et par milliers. Ces « hommes » sont des « hommes de troupe ». Des soldats. Des militaires. Ils se sont naguère engagés dans l’armée. Alors même qu’ils n’avaient pas encore fini leur jeunesse. On dit que ce sont tous des « volontaires », qu’ils ont tous « librement » choisi le métier des armes. Mais, en réalité, la plupart n’avaient guère le choix. C’est l’armée qui les a choisis. Volontairement. Ils ont été recrutés. Ces recrues ont reçu un uniforme, afin qu’ils soient tous uniformisés. Puis ils ont été formés à la dure. Très durement. Afin qu’ils deviennent durs. Aguerris. Afin précisément qu’ils deviennent des « hommes ». Ils ont pris l’habitude de marcher au pas. Au pas cadencé. On leur a appris à ne pas avoir de sentiments. Ils ne doivent pas raisonner, mais exécuter. Ils sont sous tutelle et doivent obéir à leurs chefs.

Un jour, ils seront envoyés au loin. Très loin de leur pays. Alors, Ils devront délaisser toutes leurs amours humaines. Ils débarqueront casqués, harnachés, armés de pied en cap. Ils deviendront du matériel militaire. Désormais, ils n’auront plus aucune vie privée. Ils seront seuls, entre « hommes ». Privés de tendresse. Privés de sexualité. Même si l’État, toujours providentiel, saura bien leur offrir quelques plaisirs de substitution.

C’est ainsi que depuis quelques années des milliers d’« hommes » sont envoyés en Irak. C’est une décision du Président des Etats-Unis. Lui, c’est un civil qui ne connaît rien à la guerre qu’il n’a jamais faite. Qu’il ne fera jamais. Mais il est le chef des armées. Constitutionnellement. Le Président leur a donné la plus belle mission qui soit : défendre la Civilisation contre la barbarie, la Démocratie contre la tyrannie, les Droits de l’Homme contre le terrorisme. Ils devaient faire reculer les forces du mal. La rhétorique officielle honore ces mercenaires du Bien comme des héros. La fin est juste, mais il y a erreur sur les moyens. La faute est de penser que la violence est humaine. Et qu’elle est capable d’éradiquer le mal. Sur le terrain, quotidiennement, les « hommes » sont confrontés aux horribles tourments de la guerre. La guerre qu’on leur a apprise était un jeu. Un grand jeu. Ils comprennent alors qu’elle est une tragédie. On leur a dit qu’ils seraient accueillis comme des libérateurs, ils sont maintenant considérés comme des oppresseurs. Jour et nuit, ils vivent morts de peur. De la peur de la mort. Á tout moment, ils ressentent dans leur chair la brûlante morsure de la camarde. Ils sont censés lutter contre le terrorisme, mais ils sont terrorisés. Et ils terrorisent. Ils devaient apporter la paix, mais ils ont provoqué la guerre. Et le chaos. Chaque jour, ils risquent d’être tués. Ou de tuer. Et le meurtre est encore plus terrifiant que la mort. Car l’homme n’est pas fait pour tuer. Les poètes diraient qu’il est fait pour aimer. Mais que viendraient faire les poètes dans cette histoire ?

Certains « hommes » sont remplis de haine. D’autres, de honte. Tous sont saisis d’angoisse. Au fond de leur détresse, ils redeviennent humains. La plupart ignorent la lâcheté. Ils tentent de faire face au jour le jour. Souvent avec courage. En définitive, ils ne sont pas coupables, mais victimes. Victimes de leur propre violence. Blessés, profondément. Troublés, extrêmement. Malades, gravement. Fous, littéralement. On parle à leur sujet de « névrose traumatique de guerre ». Des savants se sont penchés sur leur cas. Un cas intéressant. Un bon thème pour de futurs colloques universitaires. Dans son essai Vers la paix perpétuelle, Emmanuel Kant affirme : « Être stipendié pour tuer ou être tué semble impliquer l’utilisation des hommes comme de simples machines et instruments aux mains d’autrui (de l’État), ce qui ne se laisse pas bien accorder avec le droit de l’humanité dans notre propre personne. » Kant était un philosophe, un sage. Mais qui écoute encore les sages ? Au fait, les sages parlent-ils encore ?

Cyniquement, la mort met régulièrement à jour le compteur des tués. Á la radio et à la télévision, l’information est laconique : « Aujourd’hui deux, trois, quatre, cinq,… soldats américains ont été tués en Irak. ». Elle est devenue banale. Sans transition, le journaliste donne alors les résultats des derniers matches du championnat de foot : « 2-0, 3-1, 4-2, 5-1…, magnifique victoire…, lourde défaite… ». Les chiffres et les concepts s’embrouillent. Bientôt, le compteur de la mort affichera le chiffre de 4000. Quatre mille « hommes » tués ! Pour quoi ? Pourquoi ? (On ignore le nombre de tués irakiens. Leur mort est un dommage collatéral.)

Un jour, les survivants rentrent chez eux. On dit qu’ils sont « libérés ». Mais beaucoup, peut-être tous, ne retrouvent pas le goût de la vie. La violence les a dégoûtés. Des autres et surtout d’eux-mêmes. Ils n’ont pas d’exploits à raconter. Ils sont emmurés dans un silence sépulcral. Douloureusement. La guerre ne les laisse pas en paix. Elle continuera de les hanter. Perpétuellement. Parfois, ils se surprennent à pleurer. Même les « hommes » pleurent. Certains préfèrent se jeter dans la mort afin qu’elle cesse de les narguer.

Ces « hommes » méritent notre respect et notre compassion. Pitié ! Oui, pitié pour les « hommes » !






Durant sa campagne électoral et dans son discours historique d'investiture, le Président Barack Obama s'était engagé à retirer les troupes des soldats US d'Irak et de "mettre fin aux guerres".
Force est d'en convenir, avec l'envoi de 30 000 hommes supplémentaires, il se repositionne sur la stratégie de l'administration Bush. Son argument qui consiste "à terminer le boulot "de son prédécesseur relève d'une ambivalence - pour ne pas dire d'une hypocrisie  certaine.
Ce qu'il convient d'entendre ici c'est que l'envers du signifiant "finir" a pour signification" continuer" et  celui du " boulot" c'est en définitive : "le sale boulot".
Autrement dit Obama prend à sa charge le "sale boulot " provoqué par Bush mais sur un mode dénégatif non-dit qui pourrait trouver sa traduction ainsi : " ce n'est pas moi qui ai commencé " ce qui est vrai jusque - là, mais " il faut bien que je termine", autrement dit " je veux continuer" et il admet sa collusion avec l'idéologie guerrière bushiste.
Alors que l'on sait que de puissants intérêts économiques sont en jeu ( pétrole-gaz) Barack Obama ne se départit pas de la vision belliciste de l'administration bush et de ses puissants lobbies. A l'évidence et même s'il ne joue pas nécessairement cette carte géopolitique  pour n'affirmer qu'en voulant la défaite totale des insurgés talibans et par la même celle du terrorisme d'Al Kaida, il perpétue une politique militaire semblable.
Ce faisant, il soutient face au peuple américain, que la guerre contre les insurgés talibans est la solution alors que depuis des années, elle est le problème. "La violence est le problème qui se présente comme sa propre solution" (J.M. Muller).
Il fait sienne l'idée suicidaire que " la guerre est la continuité de la politique par d'autres moyens" (Clauswicz ) alors que la guerre contre des talibans dispersés parmi les populations et sur un territoire immense, impossible à explorer, exposée aux attentats, est non seulement tout le contraire d'une politique de médiation mais une impasse.
En fait, la guerre en Afghanistan plutôt que de continuer la politique  elle la clôt et se prive de moyens.
L'ex-Union Soviétique en a déjà fait les frais.(avec le soutien des américains !) Et si, comme il est dit souvent que les talibans ne sont qu'une " bande d'insurgés" et les forces d'Al Kaida " une poignée de terroristes" comment se fait-il qu'une armée aussi puissante renforcée par  les troupes des pays belligérants dont la France, ne soit pas encore parvenue à éradiquer ces "insurgés" ?
Le président Barack Obama à promis que son " boulot"  serait terminé dans 18 mois et que les boys rentreraient...Oui, mais sur les 30000 hommes combien rentreront...?
P.POUYAUD

Déjà en 2001 le Ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine commentait le problème afghan en ces termes :
Le plan d'urgence, c'est ce dont on parle tout le temps, c'est l'accélération de l'ensemble de nos actions. J'ai exprimé ce que nous souhaitons et ce que nous voulons éviter. Maintenant, c'est la guerre, c'est le chaos. Tous les dirigeants avaient dit qu'il serait souhaitable que l'Alliance du nord ne rentre pas seule dans Kaboul, mais ils étaient aux portes d'une ville que les Talibans avaient abandonnée, donc cela s'est passé comme cela! On peut comprendre cet enchaînement sur le terrain. Je pense donc qu'il ne faut pas juger sur ce qui s'est passé dans les premières heures. Je pense que nous pouvons collectivement reprendre les choses. Nous ne sommes quand même pas comme en 1992, où le monde entier avait abandonné l'Afghanistan à ses divisions, à ses démons en quelque sorte. Là, c'est l'inverse. Le monde entier est concentré sur l'Afghanistan. Nous avons des attentes, des demandes, des offres. J'ai bon espoir que cela finisse par avoir bonne influence sur les chefs des factions, soit directement, soit par l'intermédiaire de l'Ouzbékistan, du Pakistan, de l'Iran,... C'est vrai que pour compléter cela, il faut absolument mettre sur la table, très vite, une solution politique." ( source :" les activités de la mission )

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