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mardi 15 décembre 2009

Les héros inutiles

Adolfo Perez Esquivel
Les héros inutiles et les guerres contre nulle part.

11 novembre 2009

- Adolfo Perez Esquivel, leader non-violent en Amérique du sud, prix Nobel de la Paix s'exprime de manière poignante sur les "guerriers inutiles" militaires européens ou américains partis combattre "on ne sait quoi", sur la mort de milliers de civils, absentes des statistiques officielles : on ne "peut pas continuer d’envoyer des soldats pour tuer et détruire d’autres peuples. Ce n’est pas juste ; c’est immoral et c’est une offense à l’humanité toute entière".

Combien de soldats nord-américains, britanniques ou de n’importe quel autre pays sont morts dans les guerres contre l’Afghanistan et l’Irak ?... Combien d’autres devront mourir encore avant de terminer ces deux guerres ?...

En fait, on compte seulement les morts des pays envahisseurs mais on ne dit rien des morts des pays envahis, ni de ceux de la résistance afghane et irakienne. On reste silencieux aussi sur la mort de milliers de femmes et d’enfants et sur les populations dévastées par les destructions et par le saccage par l’OTAN du patrimoine de l’humanité et des ressources de ces deux pays.

Toutes ces destructions et ces morts se font au nom de la « liberté », de la « démocratie » afin de libérer ces pays de la dictature quand cela convient aux « libérateurs ». L’OTAN est l’alliée des Etats-Unis, comme elle a été l’alliée de Saddam Hussein, utilisé dans la guerre contre l’Iran.

Le Premier Ministre britannique, Gordon Brown, a rendu les honneurs posthumes aux 221 soldats morts dans la guerre contre l’Afghanistan et... il s’est engagé à envoyer davantage de soldats dans ce pays. Les Etats-Unis rendent hommage aux soldats morts dans les guerres qu’ils mènent dans plusieurs parties du monde. Les veuves et les familles des soldats morts recevront une médaille et une pension pour oublier ces vies qui viendront s’ajouter aux pages des héros inutiles de toutes ces guerres menées vers nulle part. Des guerres qui servent seulement à vendre des armes et à renforcer le complexe militaro-industriel et les intérêts hégémoniques de l’empire.

Les coûts en vies humaines et la destruction des autres peuples ne sont pas pris en compte dans l’agenda comptable du Pentagone, de la CIA et du Département d’Etat, ni dans celui des autres pays de l’OTAN engagés dans les conflits armés. La complicité des monopoles d’information est, elle aussi, effrayante et hypocrite.

Dans la mythologie grecque, Sisyphe, dieu de l’Olympe fut châtié par Zeus, le Dieu Suprême. Il devait porter sur ses épaules pendant toute l’éternité une grosse pierre qu’il devait amener jusqu’au sommet de la montagne. Lors de chaque essai, Sisyphe fait un grand effort, mais n’arrive jamais à parvenir jusqu’au sommet et la pierre retombe toujours au bas de la montagne. C’est ainsi qu’en permanence, pendant toute l’éternité, il doit revenir chercher cette pierre au pied de la montagne.

Albert Camus a repris ce mythe de Sisyphe avec ce qu’il appelle: « le héros inutile », dans l’interminable déroute de soi-même sur le chemin de l’existence. C’est la situation de l’homme moderne, des gouvernants et du système dominant qui doivent à chaque fois subir les mêmes déroutes de la conscience et répéter les mêmes actions inutiles comme s’il s’agissait de grandes victoires de l’imbécilité humaine.

Au nom de la liberté, on impose la soumission à d’autres peuples comme par exemple dans la bande de Gaza contre le peuple palestinien où les crimes de guerre d’Israël ont été condamnés par les Nations Unies. De même en Colombie avec l’intervention des groupes paramilitaires. Les Etats-Unis et Israël commettent des crimes contre le peuple. Les guérillas et le narco trafic engendrent l’incertitude, la mort et ajoutent les héros inutiles à l’inutilité de la violence sociale et structurelle.

Au nom de la démocratie, les Etats-Unis envahissent certains pays, torturent et organisent des vols clandestins avec des séquestrations et des assassinats contre ceux qu’ils considèrent comme des « terroristes ». Ils justifient ces horreurs et appellent « dommages collatéraux » la mort de milliers d’enfants, de femmes et de populations civiles.

Rien de tout cela ne paraît dans les moyens de communication et dans les nouvelles de CNN et de la BBC, ni dans les statistiques. Ces morts sont considérés comme des « non personnes ». De tout cela, « on n’en parle pas ».

Les morts des soldats des Etats-Unis, de Grande Bretagne et des autres alliés de l’OTAN n’ont pas participé à une épopée héroïque mais à des rapines, à des destructions et à des meurtres. Ces soldats ne savent pas pourquoi ils vont à la guerre ; ils vont tout simplement tuer ou mourir parce qu’on leur a promis la nationalité nord-américaine et la seule chose qu’ils obtiennent, c’est la nationalité de la mort en terre étrangère. Les survivants et les mutilés garderont seulement la vision de l’horreur et se souviendront de la mort des autres jeunes qui, comme eux-mêmes, restent toujours des héros inutiles.

C’est le Vietnam qui se répète. Il est temps que le peuple des Etats-Unis se réveille et que le Président Obama, honoré du Prix Nobel de la Paix, « remette sa barbe en question » (comme on dit en Argentine) mais, comme il n’a pas de barbe, il doit remettre « bien d’autres choses en question » et secouer le joug auquel on le soumet. Il est arrivé au gouvernement, alors, qu’il gouverne ! Il est urgent d’en terminer avec ces deux guerres. Il est nécessaire qu’il agisse enfin pour le plus grand bien de l’humanité, qu’il demande pour cela le soutien de son peuple et du monde entier afin d’éviter de plus grandes destructions et un plus grand nombre de morts. C’est son obligation.

Il ne peut pas continuer d’envoyer des soldats pour tuer et détruire d’autres peuples. Ce n’est pas juste ; c’est immoral et c’est une offense à l’humanité toute entière. Qu’il arrête d’être un nouveau Sisyphe en continuant à porter la pierre de l’horreur, de la destruction et de la déroute des Etats-Unis qui collectionnent les guerres perdues parce qu’ils n’ont plus d’idéaux. Leurs troupes n’ont plus de mystique ni de causes justes à défendre. S’il ne fait pas cela, à chaque fois, il chargera la pierre tous les jours plus pesante qu’il ne pourra transporter au sommet de la montagne, car la déroute est déjà dans l’esprit et dans le coeur des Etats-Unis transformés en Sisyphe dans l’incessant futur de leur angoisse existentielle.

Adolfo Pérez Esquivel,
Prix Nobel de la Paix
19 octobre 2009

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